Tables-rondes

Table-ronde 1 : Etudier les Afriques, avec ou sans paradigmes postcoloniaux ?

Il semble aujourd’hui difficile d’aborder la question des paradigmes postcoloniaux sans que ne viennent à l’esprit les débats passionnés qu’ils suscitent, à l’instar de celui de leur réception dans le champ académique français. D’une déconstruction épistémique utile du regard porté par l’Occident sur le reste du monde à des postures mêlant revendications identitaires et politiques, les études postcoloniales, dont les orientations se sont pourtant multipliées, semblent souvent procéder à la reconduction de ce qu’elles s’étaient donné pour objectif de déconstruire : le piège de la binarité. Pour autant, les objets de recherche des sciences sociales s’intéressant aux Afriques apparaissent de plus en plus imprégnés de paradigmes postcoloniaux pluriels : quels sont-ils ? La complexité de leurs interactions avec des postulats d’ordre socio-politique rend parfois leur définition difficile ou masque leur prégnance. Comment comprendre les questionnements épistémologiques qu’ils suscitent ou la banalisation de postulats épistémiques pour certains objets de recherche ? L’importance croissante de l’orientation postcolonialiste dans les travaux des jeunes chercheurs par exemple est-elle liée à une dimension « émique » du terrain qui rend indispensable l’usage de ces outils théoriques, à une absence de mise en perspective de ces derniers, à une torsion faite aux données de terrain liée à un aveuglement conceptuel et politique ? Quels liens ces positionnements théoriques entretiennent-ils aujourd’hui avec les courants de la Négritude et de la Blackness ? Alimentent-ils des débats autour de la racialisation des acteurs de la recherche et des sociétés étudiées ?  

Ces interrogations ont pour but de permettre aux jeunes chercheurs de questionner leurs objets d’étude et méthodologies de recherche, les données ethnographiques, ainsi que les dynamiques globales à l’œuvre sur les « terrains africains », remettant parfois en cause l’usage de certains paradigmes et cadres scientifiques. Ainsi, à quelles limites le postcolonialisme, comme d’autres courants avant lui (fonctionnalisme ou structuralisme), se heurte-t-il pour saisir les configurations des sociétés africaines globalisées ? Y a-t-il une « nécessité » de dépasser une approche postcolonialiste dictée par le terrain où subsistent entre autres des rapports sociaux racialisés, réels ou idéologiques – ou par un positionnement lui-même éthique et politique ? Par exemple, même si les sociétés africaines actuelles sont le produit de diverses expériences de colonisation, les faits historiques les plus étudiés sont la traite négrière et la colonisation européenne, comparativement à la traite transsaharienne. Faut-il y voir un effet d’accentuation de politisation des faits historiques ramenée à la période contemporaine ? A l’inverse, une analyse des sociétés africaines au prisme des classes sociales, considérant d’autres hiérarchisations qui relativisent la prédominance du postulat identitaire, peut-elle permettre de nuancer et questionner différemment la reproduction de certaines catégorisations ethno-raciales, y compris dans l’étude des réseaux "diasporiques" issus du continent ? Quelles limites peut-on poser à cet angle d’analyse ? Enfin, peut-on envisager une voie médiane qui reformule le projet scientifique postcolonial pour analyser les Afriques et leurs interactions avec le reste du monde ? Quelles seraient alors ses incidences académiques ?

Cette discussion pointe en filigrane la place du chercheur par le regard qu’il porte sur ses objets de recherche, les relations personnelles et professionnelles qu’il entretient avec les sociétés étudiées, ses propres représentations de l’Afrique, et pousse à un questionnement réflexif qui interroge aussi le développement et le recours aux paradigmes postcoloniaux : d’où parlons-nous et au nom de qui ?

Organisateur : Tonda Mahéba (IRIS, EHESS)

Intervenant(e)s : Jean-Loup Amselle (EHESS) - Rémy Bazenguissa-Ganga (IMAf, EHESS) - Elise Pape (IRIS, EHESS) - Sami Tchak (Écrivain)

 

Table-ronde 2 : Positionnalité du (jeune) chercheur sur le terrain

Cette table-ronde propose de faire le point sur les méthodologies de terrain adoptées par les (jeunes) chercheurs au sein des sociétés africaines. Quelle est la place de l’enquête et quelles sont ses modalités dans un contexte de renouvellement constant des objets de recherche sous l’effet de la mondialisation ? Comment se construisent par exemple les terrains multi-situés ? Quelles sont les incidences sur l’évolution de la recherche et la production des connaissances ?

Dans le cadre d’une discussion transdisciplinaire, nous proposons d’analyser et de comparer les méthodes et les pratiques adoptées en fonction du terrain, de sa durée, de ses lieux et de la spécificité de ses objets. Les données de terrain étant vouées à être transformées en production écrite, on se demandera également comment l’écriture scientifique varie selon les terrains entrepris et les disciplines de recherche. Celle-ci utilise également de plus le plus le recours à l’audiovisuel : quelles sont les apports méthodologiques de cette approche et quels questionnements réflexifs spécifiques permet-elle ?

Pour analyser et déconstruire la relation « chercheur-terrain », il s'agit d'abord de souligner le rôle de l’enquêteur et de ses caractéristiques sociales. L’accès au terrain, le déroulement et le résultat de la recherche sont-ils susceptibles d’être influencés par l’âge, le genre, la classe sociale, la nationalité de l’enquêteur ou encore l’assignation identitaire dont il peut faire l’objet ? Comment trouver un juste équilibre entre la quête, parfois obsessionnelle, d’une neutralité idéale et la subjectivité du (jeune) chercheur, parfois refoulée, dans la production des données ? Enfin, quels enjeux et quels biais interprétatifs peuvent impliquer le fait de faire une enquête « chez soi », ou comment aborder des sujets sensibles dans un environnement où le (jeune) chercheur a été impliqué autrement avant ses investigations ? Comment se traduit alors la distance nécessaire à la recherche ?

Les problématiques liées aux langues usitées durant l’enquête restent également cruciales. Le choix de la langue de travail, et plus généralement la question de la maîtrise des langues souvent plurielles sur un même terrain, peut être déterminant et influencer fortement tant l’implication du (jeune) chercheur, son accès au terrain, que les résultats de sa recherche. Quels enjeux constitue le recours aux langues « locales » au cours de l’enquête ? Quelles peuvent être les conséquences de l’utilisation de langues européennes ou d’un recours aux interprètes, que l’on soit un enquêteur étranger ou natif du pays, de la région étudiés ?

La recherche en études africaines est par ailleurs aujourd’hui très diversifiée et s’ouvre de plus en plus à un large éventail de sujets et d’objets. Aussi, le (jeune) chercheur est-il confronté à la gestion de sujets « subversifs » ou « à risque » pour lui ou ses interlocuteurs, tels que pour des recherches dans des zones de conflits ou des lieux d’instabilité politique, sociale, sécuritaire, alimentaire, qui affectent tant la position du (jeune) chercheur que le déroulement de son enquête. D’autres objets s’intéressent à des problématiques mémorielles dont les frontières entre passé et présent sont très floues et peuvent conditionner politiquement et socialement le (jeune) chercheur au cœur de ses enquêtes.

Enfin, cette table ronde souhaite interroger l’apport et l’influence d’autres pratiques de terrain parallèles aux enquêtes effectuées dans un contexte académique. Quels changements subissent les approches méthodologiques et questionnements théoriques lorsqu’ils sont impliqués partiellement ou entièrement dans un contexte de consultance ou d’expertise ? Face à une précarité académique croissante, en Europe comme en Afrique, de plus en plus de (jeunes) chercheurs sont confrontés à cette question, ainsi qu’à des choix professionnels entre secteurs publics et privés, à la fois pour financer leurs enquêtes et pour trouver un poste. Quelles incidences cette multiplication des finalités de l’enquête a-t-elle dans la production des connaissances sur les sociétés africaines ?

Organisatrice : Elizaveta Volkova (IMAf, EPHE)

Intervenant(e)s : Andrea Ceriana Mayneri (IMAf) (sous réserve) - Ismaël Moya (LESC, CNRS) - Fatoumata Ouattara (LPED, IRD) - Caroline Panis (CERLIS, Université Paris Descartes) - Tatiana Smirnova (RIAM, EHESS)

 

Table-ronde 3 : Classes sociales et productions des savoirs sur les sociétés africaines

Cette table-ronde s’intéresse à la place et à l'analyse des stratifications sociales dans les objets de recherche et les cadres scientifiques des études en sciences sociales sur l’Afrique. Les classes moyennes et les élites font-elles par exemple l'objet d'un investissement académique minoritaire? Quels postulats de recherche influencent la production des connaissances socio-économiques, politiques mais aussi historiques, relatives aux groupes et aux sociétés étudiés ?

Les études africaines possèdent un important héritage intellectuel issu du marxisme des années 1960 et 1970. Qu’est-il advenu de sa transmission aux jeunes générations de chercheurs ? De nouveaux objets se réapproprient-ils cet outil d’analyse et comment l’adaptent-ils au contexte de globalisation actuel des sociétés africaines, aux processus de domination et de mobilisation politiques qu’il construit ? Quelles formes revêt alors l’actualisation du concept de classe sociale dans les recherches actuelles sur l’Afrique ?

Les études dans le domaine du développement et de l’aide internationale ont également contribué à orienter les analyses académiques en se focalisant sur les causes et les marqueurs de la « pauvreté » en milieu rural et urbain. Cette dimension fait partie intégrante de la recherche. Comment le « populisme développementiste » et le « populisme en sciences sociales » (Olivier de Sardan, 1990) ont-ils cependant remodelé l’appréhension et la définition des objets de recherche associés à l’Afrique, ainsi que les représentations académiques des sociétés étudiées ? 

Les prospectives de la Banque mondiale et de la Banque Africaine de Développement ont mis à jour dans plusieurs pays du continent depuis les années 2000 l’émergence de classes moyennes associées à des mobilités et un consumérisme croissants, ainsi qu’aux usages des nouvelles technologies. L’afflux de fonds et d’investissements des “diasporas” ou encore le développement de loisirs touristiques attestent par exemple de mutations socio-économiques importantes. La notion de classe moyenne est alors associée à un renouvellement des définitions de la « pauvreté » en termes de capacités : quelle est sa pertinence scientifique et sa résonance politique? Comment les classes moyennes et les élites au sein des sociétés africaines, ainsi que les transitions descendantes ou ascendantes entre catégories sociales, peuvent-elles désormais être abordées ? L’analyse de ces mutations socio-économiques, mais également politiques, s’inscrit-elle en continuité ou en rupture avec les études historiques sur les stratifications sociales des époques pré et post-indépendance ? Quels changements peut-on observer dans la construction et la hiérarchisation des groupes sociaux ?  

Enfin, la question de la place et de l’analyse des rapports sociaux de classe dans les objets de recherche sur les sociétés africaines peut interroger le courant théorique des Subaltern Studies qui imprègne depuis quelques années les débats universitaires et a favorisé une approche spécifique des groupes sociaux « dominés ». En quoi celle-ci se distingue-t-elle des autres perspectives académiques pour appréhender les clivages socio-économiques et identitaires internes aux sociétés étudiées ? Quelles sont ses incidences dans la construction et la production des savoirs et quelles analyses critiques induisent-elles ? Comment les études relatives aux circulations transnationales et leur renouvellement viennent-elles mettre en perspective et redéfinir les rapports de domination socio-économique tels qu’ils sont pensés dans la recherche sur les sociétés africaines ? 

Organisatrice : Elsa Paris (CESSMA, Université Paris Diderot)

Intervenant(e)s : Riccardo Ciavolella (LAIOS-IIAC, CNRS) - Jean Copans (EHESS) - Monique de Saint-Martin (IRIS, EHESS) (sous réserve) - Violaine Tisseau (IMAf)

 

Table-ronde 4 : Place et représentations de l’Afrique dans les pratiques académiques

Cette table-ronde souhaite interroger les liens scientifiques établis en pratique avec le continent africain, en privilégiant une analyse réflexive sur le monde de la recherche, ses dynamiques et ses acteurs. Quelle place effective prend l’Afrique au sein des rapports professionnels et institutionnels, en termes socio-économiques et politiques, mais aussi de représentations et d’imaginaires sociaux ? Qu’est-ce que ces enjeux révèlent de l’étude scientifique de ce continent et des carrières construites sur et à l’extérieur de celui-ci?

Ces questionnements ont émergé à plusieurs étapes de l’organisation de cette troisième édition des JCEA, à travers notamment la constitution du comité scientifique, la rédaction de l’appel à communication, les recherches de financements, les modalités de dépôt et de sélection des communications, le choix des conférenciers, ou encore l’organisation des ateliers d’écriture et documentaires. Les débats suscités s’inscrivent dans des processus de production académique plus vastes, qui interrogent les incidences de la « crise de l’africanisme » des années 1980, ainsi que la catégorie académique « études africaines ».

Si les pratiques du monde de la recherche conditionnent la mobilité des élites, et ses ruptures ou continuités à l’échelle internationale, elles informent tout autant sur l’émergence des capitaux, des espaces et des inégalités qui construisent la circulation des savoirs et les modes de valorisation académique. On observe, par exemple, des critères de reconnaissance et de légitimité différenciés entre chercheurs occidentaux et africains travaillant sur l’Afrique, comme entre chercheurs africains expatriés et ceux affiliés à des institutions africaines. Qu’est-ce que ces modes de distinction explicitent des relations académiques entre ces diverses catégories d’acteurs scientifiques, de leurs rapports aux terrains et aux sociétés étudiées, des contextes des pratiques de recherche, et au-delà, des partenariats ou concurrences entretenus entre les institutions et individus concernés ? Comment l’ensemble de ces éléments influence-t-il les conditions de production, de circulation et de valorisation des savoirs (par le choix des laboratoires, des revues de publication et des conférences) ? Comment certaines pratiques (re)dessinent-elles les hiérarchies globalisées des élites académiques spécialisées sur l’Afrique ?

Dans ce contexte, le continent africain nourrit des objets de recherche pour lesquels les expériences personnelles, les terrains d’étude, les réseaux professionnels, les environnements institutionnels, tout autant que les ressources et les parcours sociaux et biographiques des chercheurs, orientent les regards académiques et les représentations du continent, au-delà des clivages et contextes disciplinaires. En pratique, ces éléments peuvent occulter certaines réalités sociales, économiques et politiques, pourtant questionnées sur le plan académique. Comment ce contraste alimente-t-il, entre des catégories d’acteurs plurielles, des lignes de tensions, jalonnées de références exotisantes, essentialistes ou postcolonialistes, inscrites dans des processus d’ethnicisation réciproques souvent implicites, qui affectent le monde de la recherche à différentes échelles ? Et dans quelle mesure la construction des savoirs devient-elle un enjeu politique au sein des institutions, à la fois en Afrique et hors d’Afrique ?

Organisatrice : Hélène Quashie (IMAf, EHESS)

Intervenant(e)s : Hamidou Dia (CEPED, IRD) - Anne Doquet (IMAf, IRD) - Abdoulaye Gueye (Université d’Ottawa) - Allison Sanders (IMAf, EHESS)

 

 

 

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